Avant de parler de votre livre nous allons faire un peu connaissance. Vous dîtes que vous êtes ardéchois d’adoption, est-ce un choix au départ ou une nécessité ?

Robert Escande : J’ai remplacé pendant un an dans toute la France, après mon service militaire obligatoire. L’époque n’était pas encore à la disparition des médecins en campagne, et en qualité de remplaçant le travail était plutôt rare. C’est bien entendu une époque qui a complètement disparue. Ayant remplacé en ville et à la campagne, l’exercice de la profession en milieu rural isolé me convenait bien d’avantage. Je sortais d’une formation d’urgence, smur et réanimation, et j’adorais faire des gestes techniques comme des sutures, des plâtres, que seuls les médecins ruraux pratiquaient encore. J’ai fait une étude d’implantation auprès de la DASS, et j’ai choisi à l’époque le seul canton de France qui n’avait jamais eu de médecin.

Est-ce votre premier livre et qu’est-ce qui vous a conduit à l’écrire ?

Robert Escande : C’est mon premier ouvrage, que j’ai muri pendant mes longs mois d’hospitalisation. Ne sachant pas si j’allais m’en sortir vivant, un infarctus avec 9 stents je n’en avais encore jamais vu en 20 ans de médecine, il me fallait témoigner à tout prix pour les générations futures. Hurler ma détestation de ce gâchis politique et administratif qui conduit la médecine français, autrefois la meilleure du monde, à une impasse criminelle. Dire aussi tout l’amour que j’ai pour ce métier qui reste une vocation, et à mes yeux encore le plus beau métier du monde.

A la lecture de votre texte on s’est demandé « pourquoi ce titre ? »

Robert Escande : Pour plusieurs raisons. En premier, je sais que mon cas n’est pas isolé, et que partout l’étau administratif des contrôles médicaux, fiscaux, massacre les rares médecins libéraux qui survivent. Et à la question « Quand reviendras tu ? » je constate avec effroi que nous sommes remplacés par des « maisons médicales », financées avec les deniers public, qui sont des boites vides, sans matériel, ou de rares permanences tenues par des médecins souvent étrangers sont sensées nous remplacer à bon compte et mettre en avant « l’action efficace » du politique, qui, en réalité, a détruit un système que le monde entier nous enviait.

Maintenant parlez nous un peu de ce livre distribué par Daudin et édité aux Editions Baudelaire (ISBN 978-2-355508-778-3)

Robert Escande : J’ai de très nombreuses critiques, et à mon grand étonnement, elles sont toutes très favorables. Pourtant le livre n’est pas consensuel, il est écrit avec mes tripes et je ne fait pas de cadeau aux incapables qui pourrissent la vie de tout le mondes, gendarmes, contrôles administratifs tatillons, politiques déconnectés de la réalité, sans courage, sans projet, sans grandeur, sans reconnaissance…

Avez-vous d’autres projet d’écriture ?

Je ne sais pas si mon état de santé m’autorise des projets à long terme, mais tant que j’aurai un souffle de vie je continuerai à me battre pour ces patients que j’ai tant aimés, et contre la connerie universelle qui mène le monde à sa perte.

Passage choisi du livre de Robert Escande « Médecin, quand reviendras-tu ? » :

J’ai longtemps hésité avant d’oser écrire ce livre. Comment résumer mes vingt années d’installation en qualité de médecin généraliste à Saint-Étienne en Montagne ? Il s’est passé tellement de choses bouleversantes, qui ont changé à jamais la vie des habitants de cette paisible commune rurale, et la mienne. Vingt années entre le rire et les larmes, la joie et la détresse, le bonheur et la souffrance, entre la vie et la mort. Le quotidien en bref d’un médecin de campagne, dont le métier est aussi bien d’assister aux accouchements que de fermer les yeux des morts. La routine d’un travail déjà profondément complexe, et dans le contexte de l’installation à Saint-Étienne en Montagne, considérablement amplifié par la caisse de résonnance du désert médical du haut plateau ardéchois. Mes succès et mes échecs n’auront pas les mêmes conséquences sur cette terre oubliée des dieux, balayée par la Burle, coupée du monde par des mois de neige formant sur des routes déjà chaotiques des congères infranchissables. L’exercice de mon «art médical» n’aura pas la même incidence ici que dans ma ville natale, Marseille, baignée de soleil, sublimée par la Méditerranée, la plus belle des mers, et qui n’avait qu’un seul défaut à mes yeux, responsable de mon lointain exil montagneux : la surpopulation médicale. Ayant la phobie de la salle d’attente vide, situation que j’avais vécue en qualité de remplaçant pendant un an, j’avais pris le contre-pied absolu : j’irais m’installer dans le seul canton de France qui n’avait jamais eu de médecin !

Situation alors inédite à l’époque, qui devint au fur et à mesure des années la dure réalité pour de plus en plus de campagnes.

Situation soi-disant déplorée par nos élus, mais à vrai dire provoquée, soigneusement entretenue par une politique, une fiscalité et une pression administrative écrasante. En réalité, à toutes les échelles du pouvoir, on assiste à une démolition en règle des cabinets médicaux qui subsistent. Tout est fait pour leur substituer des «maisons médicales», où de rares permanences effectuées par des docteurs souvent étrangers, donnent à notre administration le sentiment du devoir accompli, et la jouissance d’avoir remplacé à bon compte des médecins libéraux jugés trop indépendants, pas assez serviles…

Avant de franchir définitivement le pas, et en bon élève de ce que je pensais être à l’époque un comportement confraternel, j’écrivis au président du conseil de l’Ordre de l’Ardèche et aux médecins les plus proches de mon installation. Je leur faisais part de mon désir de venir m’installer en ce lieu, et de ma joie de pouvoir collaborer au suivi médical de cette population si éloignée des hôpitaux. Ils étaient tous étrangement distants de cinquante kilomètres, dans un canton ardéchois en contact de deux autres départements : la Haute Loire, et la Lozère. Sur un point de la carte, pas très loin du village, trois régions différentes se touchaient : le Languedoc-Roussillon, l’Auvergne, et la région PACA. Situation pour le moins écartelée, dont la bizarre impression de discordance était accentuée par l’extrême diversité du paysage, hésitant entre forêts denses et sombres de conifères dignes des Laurentides du Canada, et vastes steppes d’herbe rase balayées par des vents semblant venus de Mongolie orientale…

Avant d’arriver à Saint-Etienne en Montagne, un panneau signalant le partage des eaux entre Méditerranée et Atlantique vous mettait en garde, à des centaines de kilomètres d’un quelconque littoral : la pluviométrie ici vous jouerait des tours…

Titre du livre : Médecin, quand reviendras-tu ?
Auteur : Robert Escande
Edition : Baudelaire
ISBN : 978-2-355508-778-3